https://www.open.online/2024/05/19/attivisti-europei-clima-interviste
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Combien de choses peuvent changer en cinq ans ?En 2019, année des dernières élections européennes, les places européennes sont colorées en vert.C'est l'ère de vague verte, la vague de manifestations pour le climat née de la contestation solitaire des Greta Thunberg devant le parlement suédois et a abouti à un mouvement de protestation mondial comme on n'en avait pas vu depuis des décennies.Le message qui monte dans les rues du monde entier s’adresse directement aux décideurs politiques et ressemble plus ou moins à ceci :"Nous manquons de temps, nous devons agir maintenant."Des dizaines de chefs d'État et de gouvernement se bousculent pour prendre une photo avec cette jeune militante suédoise qui a réussi à faire descendre des millions de ses pairs dans les rues du monde entier.Mais rares sont ceux qui apprécient réellement l’attrait de ces places.
L’une des premières institutions politiques à répondre aux manifestations des Vendredis pour l’avenir est l’Union européenne, qui ambitionne de devenir la première grande économie au monde à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.En décembre 2019, le président de la Commission européenne Ursula von der Leyen annonce le Pacte vert, le paquet de lois à travers lequel l’UE promet de révolutionner tous les secteurs de son économie au nom de la durabilité.Un instrument imparfait, incomplet, insuffisant, même parfois contradictoire.Mais avec une ampleur tellement bouleversante qu'elle est devenue le principal objet de conflit entre les différents partis politiques en vue des prochaines élections.D’un côté, il y a ceux qui revendiquent ce qui a été réalisé au cours des cinq dernières années et demandent d’avancer avec encore plus de détermination.De l’autre, ceux qui promettent de démanteler le Green Deal morceau par morceau.En arrière-plan, cependant, il y en a toujours :ces jeunes militants qui, cinq ans plus tard, ont bien l'intention de continuer à faire entendre leur voix.
La redécouverte de la désobéissance civile
Si l’on tente de faire une comparaison entre les grandes grèves pour le climat de 2019 et les manifestations d’aujourd’hui, il y a surtout une différence qui saute aux yeux.Les marches pacifiques, colorées et animées des Fridays for Future ont cédé la place à de nouveaux modes de protestation plus radicaux, comme en témoigne la popularité de mouvements comme Extinction Rebellion et Ultima Generazione.Deuxième Tom Terriers, 25 ans, militant d'Extinction Rebellion France, cette évolution n'est pas du tout aléatoire.Et il y a un exemple qui le prouve.En 2019, Prés Emmanuel Macron a lancé la « Convention citoyenne pour le climat », une série de réunions publiques auxquelles participent 150 citoyens tirés au sort, chargés d'élaborer des propositions à soumettre au gouvernement.«Les idées qui ont émergé étaient très ambitieuses, toutes issues d'une approche bottom-up», se souvient Terrier.Pourtant, peu de ces propositions ont réellement vu le jour.«Les lobbies – explique le jeune militant français – ont activé toute leur puissance de feu et le résultat a finalement été décevant.Des épisodes comme celui-ci ne font qu’encourager la radicalisation. »
La France est certainement l'un des pays européens où les protestations climatiques ont le plus emprunté le chemin de la désobéissance civile, avec des actions à sensation, des flash mobs, des sabotages et des occupations.Début 2023, le gouvernement français a même tenté de démanteler le collectif Les Soulèvements de la Terre, l'une des franges les plus radicales de la contestation, pour être contraint de prendre du recul après les énormes manifestations de solidarité organisées dans tout le pays.Extinction Rebellion, dont Tom Terrier est membre, a organisé une grande campagne contre Total Energies, géant pétrolier français et l'une des quatre premières entreprises mondiales du secteur de l'énergie.Pétrole et gaz."Certaines personnes ont réussi à entrer dans les usines et les raffineries", raconte le jeune militant, qui ne cache pas qu'il préfère les actions radicales comme celles-là aux simples manifestations de rue.«Quand on rentre d'un défilé, on a l'impression d'avoir perdu car rien n'a changé par rapport à avant.Mais avec la désobéissance civile, on a le sentiment de faire quelque chose de plus courageux et de plus concret."
Lützerath, épicentre de la nouvelle lutte climatique
En rembobinant la bande de ce qui s'est passé au cours des cinq dernières années, la bataille qui a le plus réussi à mobiliser les mouvements environnementaux à travers l'Europe commence à Lützerath, un petit village de Rhénanie, en Allemagne.Jusqu'en 2006, elle abritait une centaine d'habitants, aujourd'hui ce n'est plus qu'une ville fantôme.La raison ?A quelques centaines de mètres se trouvent deux des plus grandes mines de charbon du monde :Garzweiler et Hambach.Ces dernières années, RWE – une entreprise allemande spécialisée dans le lignite, une forme de charbon très polluante – a obtenu l’autorisation d’étendre ses opérations à l’ancien village de Lützerath, obligeant ainsi les habitants à fuir.L’entreprise et les responsables politiques locaux s’attendaient certainement à une certaine forme de résistance de la part des habitants et des principaux groupes environnementalistes.Mais ils ne pouvaient pas prévoir que Lützerath, un petit village inconnu de la plupart, deviendrait la nouvelle étape de la protestation environnementale.
Début 2023, des milliers de militants se sont rassemblés en Rhénanie pour protester contre l’agrandissement des mines de charbon.Une immense manifestation, à laquelle Greta Thunberg a également participé.Ces jours-là à Lützerath, il était également présent Louise Neubauer, 28 ans, originaire de Hambourg, l'un des principaux noms des Fridays for Future dans le monde.C’est aussi grâce à lui que l’Allemagne a réussi à s’imposer ces dernières années comme l’un des pays européens les plus animés en matière de protestation climatique.«Les manifestations que nous avons lancées en 2019 ont obtenu des résultats extraordinaires.Non seulement parce que nous avons placé la lutte contre le changement climatique en tête de l'agenda politique, mais aussi parce que désormais le climat est devenu l'un de ces sujets capables de décider de l'issue d'une élection", explique-t-il à Ouvrir Louise Neubauer.
Les promesses du Green Deal et la révolte des agriculteurs
Selon le militant de 28 ans, ce sont précisément les manifestations des Vendredis pour l'Avenir, qui ont débuté quelques mois après les dernières élections européennes, qui ont convaincu la classe politique - à commencer par les dirigeants de l'Union européenne - d'agir.«Le Green Deal est le meilleur ensemble de politiques climatiques jamais approuvé et, en même temps, il est totalement insuffisant pour endiguer la crise climatique», observe Neubauer.Bref, des progrès ont été réalisés, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.« Le Green Deal a renversé le discours qui considérait l’action climatique comme quelque chose qui nous obligerait à sacrifier la croissance économique ou la sécurité énergétique.Aujourd'hui par exemple, on se rend enfin compte qu'il existe un lien direct entre autocraties et énergies fossiles", précise le militant allemand.
Le premier véritable revers de l’agenda vert européen s’est produit dans les premiers mois de 2024, lorsque des milliers d’agriculteurs est descendu dans la rue à bord de leurs tracteurs dans différents pays européens.Certains enjeux économiques ont été mis au premier plan, à commencer par le manque de pouvoir de négociation dans les négociations avec les géants de la grande distribution, mais aussi bon nombre de ces obligations environnementales introduites en 2021 avec la réforme de la PAC, la Politique agricole commune.«Nous avons encore une idée romantique de l'agriculteur, comme s'il était le voisin qui prend soin de nous et nous nourrit», explique Neubauer.«La vérité, ajoute le militant allemand, est qu'en Europe, le secteur est dominé par les lobbies industriels et non par les petits agriculteurs».Une vision globalement similaire vient également de Tom Terrier, qui en France a vu l'extrême droite monter dans les sondages également grâce aux manifestations des tracteurs.«Beaucoup d'entre nous, membres du mouvement climatique, n'ont pas compris la portée de ces protestations.L'extrême droite a agi plus tôt et a pris le contrôle du discours, créant cette division artificielle entre écologistes et agriculteurs", explique le militant français d'Extinction Rebellion.
Des places aux salles d'audience
Si les agriculteurs le permettent, les cinq dernières années ont été assez animées pour les mouvements environnementaux.Manifestations de rue, marches, actions de désobéissance civile et même salles d’audience.En fait, il y a quelques années, un nouvel outil s’est ajouté à l’arsenal tactique qui permet aux organisations climatiques de mener leurs batailles.Il s'agit du litige climatique, dans les « conflits climatiques » italiens, dans lesquels un groupe de citoyens intente une action en justice contre une entreprise privée ou un organisme public pour contester le non-respect des obligations de réduction des émissions de gaz à effet de serre.En Italie, l'un des premiers exemples est celui cause promu par ReCommon et Greenpeace contre le géant pétrolier Eni.Même si l'un des cas qui a fait sensation au niveau européen vient de Belgique et a été rebaptisé «Maisons climatiques», la cause climatique.Tout a commencé en 2014, lorsqu’un groupe de onze citoyens a poursuivi en justice le gouvernement et les administrateurs locaux, les accusant de ne pas en faire assez pour respecter leurs engagements climatiques.« Notre cause offre aux politiciens une occasion en or de démontrer qu’ils sont de véritables leaders qui apportent des changements positifs et apportent des avantages tangibles à leurs électeurs.Cela peut vraiment être le cas où tout le monde y gagne », explique-t-il. Serge de Gheldère, l'un de ces onze citoyens belges qui ont lancé le litige climatique il y a dix ans.
Le 30 novembre 2023, la Cour d'appel de Bruxelles a rendu un arrêt historique ordonnant au gouvernement belge et aux collectivités locales de réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici 2030, conformément aux engagements signés au niveau européen.« Les gouvernements ont la tâche de nous guider dans des transitions d’époque comme celle-ci, tout comme ils l’ont fait dans le passé avec les transports publics, l’éducation et la santé », observe de Gheldere.Et lorsque ces mêmes gouvernements ne respectent pas les engagements qu'ils ont pris, il faut un « bâton », comme le définit l'activiste belge, ou quelque chose qui les pousse à réellement agir.Cela a été démontré décision historique de la Cour européenne des droits de l'homme, qui a accueilli un appel interjeté par une association de personnes âgées - le Contrôle climatique – et a condamné la Suisse pour ne pas avoir pris de mesures adéquates contre l’avancée du changement climatique.«Dans le passé, la même chose s'est également produite dans des secteurs tels que l'amiante, les droits civiques, le tabac et la pollution de l'environnement.Les procès – insiste de Gheldere – ont stimulé la réforme politique et le progrès social, anticipant souvent la politique."
Écologistes et travailleurs, côte à côte
L’expérience de ces dernières années a démontré que la lutte pour le climat est étroitement liée à de nombreuses autres revendications :les droits des minorités, la lutte contre les inégalités sociales, le droit à un emploi sûr et bien rémunéré.Un exemple de cette intersectionnalité est l’alliance entre Fridays for Future Italia et le collectif d’usine deex-Gkn de Campi Bisenzio, à Florence.Tout commence en 2021, lorsque les anciens propriétaires de l'entreprise annoncent dans un email le licenciement collectif de plus de 400 travailleurs et la volonté de délocaliser la production.Les ouvriers réagissent en occupant l'usine et en établissant une assemblée permanente :c’est là que commence le dialogue avec le monde écologiste.« Il fallait se réindustrialiser et créer une idée de production basée sur deux piliers.D'abord:le fait que les travailleurs peuvent être aux commandes de ce qu’ils produisent.Deuxième:la nécessité de se concentrer sur la transition écologique", explique-t-il Martina Comparelli, porte-parole des Vendredis pour Future Italia.
En 2023, le mouvement environnemental s'est associé au collectif de l'usine et à d'autres entités pour transformer l'ancienne usine Gkn en « la première usine socialement intégrée d'Italie », capable de produire des panneaux photovoltaïques, des batteries et des vélos cargo.L'objectif était de récolter au moins 75 mille euros pour donner une première impulsion au projet.En quelques mois, le montant total récolté grâce à la campagne financement participatif était de 173 690 euros.«Nous devons surmonter le chantage entre l'environnement et le travail, pratiqué par ces propriétaires qui disent:"si la transition écologique a lieu, vous perdrez votre emploi", observe Comparelli.Le conflit des travailleurs de l'ex-Gkn n'est pas encore terminé.Fin 2023, le Tribunal du Travail de Florence a accueilli le recours présenté par Fiom-Cgil et a déjoué la nouvelle tentative de licenciement collectif qui aurait débuté à partir du 1er janvier 2024.Le samedi 18 mai, les travailleurs de Campo Bisenzio sont revenus manifester dans les rues de Florence, pouvant à nouveau compter sur le soutien des militants des Vendredis pour l'Avenir.«Pour un mouvement comme le nôtre – insiste Comparelli – il est important de ne pas opposer notre lutte aux besoins primaires des gens.Et avec Gkn, nous avons fait exactement cela. »
Le message en vue des élections de juin
De 2019 à aujourd’hui, le panorama européen des militants pour le climat s’est enrichi de nouveaux visages, a diversifié sa stratégie et a dans un certain sens également atteint le stade de la maturité.La lutte contre le changement climatique s’est retrouvée au sommet des priorités politiques, tout comme le réclamaient les manifestants qui ont occupé les places européennes pendant des années.Pourtant, les militants estiment que le travail est loin d’être terminé.«Nous n'en sommes qu'au début et certains demandent déjà de tout arrêter et de revenir en arrière», souligne Luisa Neubauer.Même Martina Comparelli n'est pas vraiment optimiste à l'approche du vote des 8 et 9 juin :«Je ne sais pas exactement quels espoirs nous avons pour les prochaines élections», soupire la porte-parole de Fridays for Future Italia."Il y a des gens au Parlement européen qui veulent vraiment changer les choses", explique Tom Terrier.Pourtant, ajoute amèrement le militant français, "il suffit que quelqu'un commence à montrer ses muscles, comme l'ont fait les agriculteurs, et ils sont tous prêts à effacer tout le bien qui a été fait".Et c’est peut-être précisément avec cette attitude que les militants pour le climat se présentent aux élections européennes :un peu d'optimisme quant à ce qui a été fait, mais aussi beaucoup d'inquiétude quant à ce qui pourrait arriver.Après tout, combien de choses peuvent changer en l’espace de cinq ans ?Tout, si l’on regarde les objectifs qui ont été atteints.Rien, si le résultat d’une élection est suffisant, pour risquer de revenir au point de départ.
Photo de couverture :Conception graphique par Vincenzo Monaco