https://www.open.online/2024/02/18/proteste-agricoltori-green-deal-in-bilico
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Les élections européennes de juin seront aussi – ou peut-être avant tout – un référendum sur les politiques environnementales et climatiques de l’Union européenne.La confirmation est venue de «émeute de tracteurs», ce qui a non seulement enflammé – dans certains cas littéralement – les places à travers l’Europe, mais a également donné un élan important à la campagne électorale.Dans le champ de vision des agriculteurs, il y a des enjeux économiques mais aussi environnementaux, qui proviennent souvent de Pacte vert, l'ensemble de mesures par lequel l'UE vise à révolutionner son économie pour atteindre zéro émission nette d'ici 2050.Les politiques environnementales et climatiques représentent sans aucun doute l’un des principaux héritages politiques de la Commission européenne Ursula von der Leyen.En attendant de savoir si le Green Deal sera renforcé, révisé voire démantelé, l’avenir de certaines mesures clés de la stratégie européenne reste suspendu à un fil.D'autant plus après les protestations des agriculteurs, qui semblent avoir convaincu les dirigeants européens - mais aussi les gouvernement français – de freiner les mesures les plus ambitieuses et contestées.
PAC, pesticides et objectifs climatiques :les premières mesures ont échoué
A la veille du Conseil européen du 1er février, von der Leyen a tenté une première fois de répondre aux demandes du secteur agricole en reportant l'entrée en vigueur de certains obligations environnementales prévue par la PAC, la politique agricole commune.Là réforme Approuvée en 2021, elle oblige les agriculteurs possédant plus de 10 hectares à laisser en jachère au moins 4 % de leurs terres arables.L'obligation aurait dû être déclenchée au début de l'année, mais la marche des tracteurs sur Bruxelles a convaincu l'exécutif européen de tout reporter au 1er janvier 2025.Une semaine après le Conseil européen, von der Leyen a fait deux nouvelles concessions aussi généreuses qu’inattendues.Le premier est le retirer du projet de loi sur les pesticides, l'une des dispositions phares du Green Deal mais aussi l'une des plus contestées par les agriculteurs.La seconde concerne le objectifs de réduction des émissions fixé pour 2040.À cette date, la Commission européenne proposait de réduire de 90 % les émissions liées au changement climatique par rapport aux niveaux de 1990, mais par rapport aux premières versions du document, les références aux objectifs du secteur agricole ont disparu.Selon Alessandra Moretti, députée européenne du Parti démocrate, "ce sont certainement des sonnettes d'alarme", qui révèlent une "attitude soumise" de la part d'Ursula von der Leyen.«Son principal objectif est désormais d'être reconfirmée à la tête de la Commission européenne et pour y parvenir – explique Moretti – elle doit faire un clin d'œil à certains mouvements plus à droite que sa formation politique.Mais je trouve inacceptable qu'il décide de renoncer à une politique menée depuis cinq ans."
Les 166 briques du Green Deal
En bref, les protestations des agriculteurs ont déjà porté de sérieux coups au Green Deal européen.La question est maintenant autre :y aura-t-il de nouveaux reculs d’ici les élections de juin ?"Il y a des risques, oui", reconnaît l'eurodéputé PD.Sur les différents dossiers du Green Deal, les divisions à Bruxelles et à Strasbourg suivent à peu près la frontière traditionnelle entre droite et gauche.D’un côté, les Verts, le centre-gauche S&D et les centristes de Renew votent en faveur des mesures les plus ambitieuses.De l'autre, il y a le parti de droite Ecr, dont fait partie Fratelli d'Italia, et Identité et Démocratie (I&D), dont fait partie la Ligue.Mais c'est le groupe le plus important – et donc le plus puissant – du Parlement européen, le Parti populaire, qui réclame souvent une approche plus douce et plus progressive de la transition écologique.Le Green Deal a été dévoilé pour la première fois en 2019 et représente aujourd’hui un pachyderme législatif composé de 166 dossiers différents.Parmi ceux-ci :58 ont été définitivement approuvés, 79 en sont encore aux premiers stades du processus et 8 ont été retirés ou mis de côté.La liste est complétée par 21 mesures que le site Internet du Parlement européen répertorie comme « proches de l'adoption ».
Le dernier obstacle de Loi sur la restauration de la nature
Parmi ceux-ci, il y a aussi celui très contesté Loi sur la restauration de la nature, sur lequel le Parlement européen pourrait exprimer son avis définitif avant les élections.En novembre dernier, les institutions européennes sont parvenues à un large accord sur cette mesure, qui vise à restaurer au moins 20 % des zones terrestres et marines de l'UE d'ici 2030 et à restaurer tous les écosystèmes d'ici 2050.«Même si elle est fortement modifiée, c'est une proposition mal faite et qui devrait être rejetée», explique un Ouvrir Herbert Dorfmann, député européen et porte-parole du PPE pour l'agriculture.Le dossier pourrait aboutir à la Chambre en mars, mais la protestation des tracteurs pourrait convaincre les dirigeants européens de tout reporter après les élections."Si nous pouvons reporter ou voter contre, je suis heureux", précise Dorfmann.Alessandra Moretti, en revanche, demande l'approbation définitive de la mesure, selon laquelle "il n'est pas vrai que la législation affecte le secteur agricole, au contraire elle le soutient et le protège".
Les autres dossiers en balance
Mais la loi sur la restauration de la nature n’est pas la seule disposition du Green Deal qui risque d’échouer.Il existe au moins deux autres initiatives législatives qui impliquent le secteur agricole d’une manière ou d’une autre.Le premier concerne la directive sur les émissions industrielles.«Lors du dernier trilogue – rappelle Dorfmann – il a été décidé d'exclure les bovins, mais des limites plus strictes ont été fixées pour les émissions liées aux porcs et aux volailles».L'autre dossier qui pourrait être affecté par les protestations des agriculteurs concerne la directive sur la surveillance des sols.Dans ce cas, cependant, la proposition doit encore être adoptée par la Commission Environnement du Parlement européen et, explique l'eurodéputé PPE, "il est peu probable que nous puissions procéder à un vote en plénière avant les élections".Les autres dispositions du Green Deal, qui ne concernent pas directement les agriculteurs, devraient progresser sans heurts vers leur approbation finale.C'est le cas de ce qu'on appelle «directive maisons vertes», sur lequel un accord a été trouvé fin 2023.Ou encore le règlement Ecoconception, dont Alessandra Moretti est la première signataire et qui vise à établir des normes minimales de durabilité pour la majorité des produits du marché."Je ne pense pas que le texte va ralentir d'une manière ou d'une autre", assure l'eurodéputé PD.Bien entendu, les élections de juin restent en arrière-plan, ce qui pourrait consacrer le Green Deal mais aussi l’envoyer au grenier.
Photo de couverture :EPA/Stéphanie Lecocq | Une manifestation d'agriculteurs à Bruxelles, Belgique (3 mars 2023)